samedi 13 décembre 2008

DISCOURS IDÉOLOGIQUE OU RACISME


 

On sait depuis longtemps que la ligne du progrès de l’humanité n’est pas continue. Mais rares sont les expressions de ce progrès qui font la place nécessaire à cette discontinuité et au tâtonnement de l’histoire. Heureusement qu’existe la ‘‘ petite histoire’’ qui est souvent aussi enrichissante, sinon plus, que l’histoire officielle. C’est souvent de ses replis qu’apparaissent les tentatives de sape et les coups fourrés qui jalonnent le cours des idées et la voie vers la connaissance. Au risque de ternir parfois le vernis de l’histoire officielle…

Cette réflexion s’inspire de deux ouvrages parus au début de ce siècle. Il s’agit, d’une part, de Aristote au Mont Saint-Michel,  les racines grecques de l’Europe chrétienne Seuil, 2008 de Sylvain Gouguenheim et, d’autre part, de Afrocentrismes , l’histoire des Africains entre Egypte et Amérique, Karthala, 2000. de François-Xavier Fauvelle-Aymar et consorts. Deux brûlots dans l’histoire récente des idées. Dans un cas comme dans l’autre, le propos semble consister à miner les relations existant entre certains phénomènes au soubassement des cultures européennes et à enlever leur crédit aux peuples allogènes qui en sont concernés et dont les cultures sont jugées répulsives ou inférieures.

Dans le premier cas, l’objectif vise à montrer que la culture arabe ou musulmane n’a eu aucune influence sur l’édification de la pensée occidentale. S’il n’est pas question ici de faire une analyse de l’ouvrage; on peut déjà remarquer que bien loin de reconnaître comme beaucoup d’exégètes ou d’historiens l’apport des arabes dans la transmission de la culture grecque à l’occident chrétien, l’auteur s’inscrit en faux contre la réalité de cette transmission. Et il le fait par des arguments souvent fallacieux dont le but implicite, voire parfois explicitement, est la démolition de la culture musulmane. Selon lui, jamais les érudits arabes n’ont servi de courroie de transmission au rationalisme grec. Ce travail est dû plutôt aux savants chrétiens qui ont répandu l’esprit de la modernité au long de la Renaissance. Ce en quoi, d’ailleurs, il est en porte-à-faux par rapport à la thèse de l’égyptologue Christiane Desroches Noblecourt qui défend plutôt l’hypothèse d’une origine égypto-chrétienne de la civilisation occidentale.

Dans l’autre cas, il s’agit de discréditer le courant idéologique promouvant l’influence de la culture africaine sur l’Égypte pharaonique. Comprenez que cette prétention concerne, en définitive, l’Europe elle-même à travers sa longue macération historique.

De fait, jusqu’au milieu du 20ème siècle, l’Égypte des pharaons était pour les Européens, non seulement objet de connaissance, mais également source d’alluvions culturels. Mme Desroches Noblecourt, entre autres, a montré comment tous les aspects de la vie européenne y compris l’organisation sociale, étaient inspirés de la vie de l’Égypte ancienne. C’est donc sous ce double mouvement parfois inconscient que l’égyptologie a pris son essor, devenant par le fait même, une discipline et une chasse gardée européennes.

Comment s’étonner, dès lors, qu’une pierre africaine lancée dans les plates-bandes de l’égyptologie fasse scandale? Ce fut le cas, en effet, avec la parution en 1954 de Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop. En révélant les rapports des peuples africains avec l’Égypte ancienne au cours des millénaires-- pas exclusivement au seul créneau de la traite négrière comme certains l’auraient voulu-- mais surtout à d’autres dimensions de la société, civile et politique, les sociétés d’égyptologie européenne ont accusé le coup comme une transgression, un crime de lèse-majesté. C’était la première charge contre la forteresse. En réponse, ce fut le signal de mobilisation générale contre les tenants de l’interpénétration africaine. De contester l’hégémonie européenne sur l’Égypte ancienne et de postuler en même temps la perméabilité des aires culturelles limitrophes telle que le pays des pharaons en aurait été affecté, dans sa culture et ses institutions—une hypothèse d’ethnographie culturelle, somme toute, logique et conservatrice –a mis le feu aux poudres. Du jour au lendemain, l’auteur devenait un pestiféré qu’il ne fallait pas fréquenter. Et aujourd’hui encore, tous ceux qui passent dans son sillage autrement que pour le discréditer ou le pourfendre doivent faire face aux bâillons académiques ou médiatiques. Il a fallu attendre le colloque international de l’UNESCO en 1974, sur le peuplement de l’Égypte ancienne, entre autres, pour que la chape de plomb qui pèse sur le sujet soit soulevée. Et encore avec beaucoup de suspicion européenne sur tous les points de vue qui s’éloignent de la doxa classique en matière d’égyptologie.

Sans vouloir analyser ici les thèses de Diop et de ses disciples, il n’est pas malaisé de reconnaître, en contrepartie, que ces derniers, en plus de paraître avoir l’épiderme sensible à l’occasion, se sont trouvés parfois, dans leur argumentation, à forcer un peu la note malgré la solidité du terrain. Comme s’il fallait crier fort pour se faire entendre dans le vacarme ambiant. C’était inévitable en raison des conditions des échanges ou de ce qui en tenait lieu. D’ailleurs, quel scientifique ou chercheur n’a pas, un jour, succombé à la dérive théorique ou à des biais méthodologiques? On n’en fait pas toujours un galeux pour autant. Dans le cas de Diop et de ses disciples, les traits ont été grossis et le rejet sans appel, déterminant par le fait même, la nature (idéologique) et le lieu (extra-muros ) du combat intellectuel auquel ils sont contraints. D’ailleurs, la décision à l’origine du projet Afrocentrismes est très éclairante à cet égard. La charge devait être univoque et unanime :aucun des 19 collaborateurs de cet ouvrage n’était d’origine africaine. Quoi de surprenant alors que les Européens soient accusés d’Eurocentrisme et de  confisquer la civilisation égyptienne au profit de la race blanche ?

S’il en était besoin, ces deux exemples témoigneraient de la difficulté d’en arriver à une épuration du discours dans les sciences humaines. Trop d’intérêts font écran à une appréhension objective de la réalité. Dans le cas qui nous occupe, il y a lieu de se demander si les motivations à l’origine des positions, des tendances ou des orientations sont simplement idéologiques ou davantage racistes. On ne peut en effet sous-estimer l’humiliation des Européens de voir que des peuples qui ne se recommandent pas, à leur avis, par leur supériorité culturelle ou même qui ont longtemps été appréhendés comme inférieurs se voient convoquer quand vient le moment de battre le rappel des constituants fondamentaux de leur culture.
5 Septembre 2008
Marc .L.Laroche

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire