mercredi 17 décembre 2008

M-M FLEURANT LE MASSACRE DES HAÏTIENS EN EN 1937



L’article de Maismy-Mary FLEURANT( Le massacre des Haïtiens par le gouvernement de Trujillo en 1937 : pour répondre à un devoir de mémoire) jette une lumière crue sur une période sombre de l’histoire d’Haïti। S’il est important de savoir comment les choses se sont passées, cela ne prémunit pas contre un profond sentiment d’humiliation et de honte devant la veulerie des hommes politiques haïtiens। Et cela permet encore moins de comprendre le sens des rapports politiques entre les deux pays depuis le terrible événement। 
 COMMENTAIRES :
Anonyme a dit…
J’ai lu la plupart des analyses du blog. J’ai apprécié particulièrement les flèches à l’endroit de Finkielkraut. A cause de ses propos racistes, il m’a fait baver pendant toute une saison. J’ai observé que le blog a décidé d’allier des rapports de faits aux analyses. Je pense que c’est une bonne idée. Il n’en sera que plus vivant.
Jacques.B

9 :28 AM

samedi 13 décembre 2008

LE COMPLEXE DU COLONISÉ


 

 
 
À l’heure où les colonisateurs du vieux monde osent encore se glorifier des lumières qu’ils ont apportées aux peuples arriérés, il n’est pas saugrenu de repasser, même brièvement, sur les traces du colonisé. C’est vrai que ce dernier a hérité de quelque chose du colonisateur, mais il s’agit, en l’occurrence, d’un produit toxique à diffusion archilente qui s’appelle le complexe d’infériorité. On ne s’étonnera donc pas qu’après plus deux siècles de corps à corps avec ce travers ou ce trouble, on y revienne encore, faute de le maîtriser.

Depuis Albert Memmi et surtout Frantz Fanon, on sait combien est étroite la voie d’ascension du colonisé. L’un des risques que court ce dernier, c’est sa propre dépersonnalisation à partir du clivage imposé dans le processus de la colonisation. Au long de son parcours, il aura introjecté bien des injonctions de sa propre négation. Comment, dans ce creuset d’oppression où le colonisateur est obligatoirement le seul référent avec tout l’attirail de sa supériorité culturelle, n’aurait-il pas développé un complexe d’infériorité? Les lignes qui suivent se proposent d’attirer l’attention sur une problématique particulière de ce champ. Elle concerne ce qu’on pourrait appeler une fixation phénotypique accompagnée de la hantise de l’asservissement. Ces troubles sont, dans les faits, des pathologies qui naissent et se développent dans certaines structures sociales archaïques et, notamment, dans le processus de la colonisation.

La fixation phénotypique
La fixation phénotypique se présente comme une pathologie de la perception de soi fondée sur des caractéristiques biologiques. Ces caractéristiques qui englobent le schéma corporel comprennent les attributs que sont la taille, la couleur de la peau, la chevelure, le nez, la bouche, les yeux etc. toute chose pouvant contribuer à donner une certaine image du sujet à ses propres yeux. L’évaluation spéculaire de ces caractéristiques a beau être subjective, elle n’est pas dépourvue de la sanction sociale. Il y a, au préalable, dans cette évaluation une intégration, voire une introjection de ce qui est valorisé ou rejeté dans la société. Cela se fait, bien entendu, en référence au système de valeurs du colonisateur ou de son équivalent social. Qu’arrive-t-il à l’individu (ou à un groupe social) quand l’évaluation révèle une image de soi loin des normes de référence? Dans beaucoup de sociétés équilibrées, les différences ne tirent pas nécessairement à conséquence. Mais dans les contextes sociaux évoqués plus haut, en raison de la nature des enjeux et des forces en présence, les répercussions sont beaucoup plus graves sur le corps social et les individus. Quoi qu’il en soit, ces derniers ne commencent à intéresser le clinicien qu’à partir du moment où les préoccupations, par leur récurrence et leur systématisation, se condensent en une pathologie psychique. C’est à ce stade seulement qu’on peut parler de fixation phénotypique.

La hantise de l’asservissement
Si la fixation phénotypique est fondée sur des supports plus ou moins objectifs, tel n’est pas le cas pour la hantise de l’asservissement qui est une donnée de la conscience, voire même de l’inconscient. Elle souligne une condition cruciale d’aliénation, de dévalorisation sociale ou de sujétion, vécue ou appréhendée, affectant des groupes sociaux ou des individus.

Certains contextes historiques sont particulièrement fertiles en des situations de cette nature. C’est le cas, nous l’avons dit, du colonialisme et aussi des systèmes esclavagistes. Mais d’autres modèles de société produisent les mêmes effets comme l’Inde des castes, la Russie des serfs ou l’Afrique de l’apartheid etc. Dans ces sociétés, les groupes sociaux au sommet de la hiérarchie sociale s'attribuent les fonctions considérées comme nobles et les rôles sociaux très valorisés pendant que les activités serviles ou impures, avec ou sans contrainte, sont dévolues aux groupes dépenaillés à l’autre bout de l’échelle.

Dans de telles conditions sociales, les fonctions et les comportements qui y sont attachés sont fortement connotés. Ils deviennent non seulement des marqueurs de la place occupée dans la société, mais des signes de la condition intrinsèque des individus. Que ces derniers ( ou des groupes sociaux) essaient de prendre leur distance des activités ou des conduites répulsives ou, a contrario, se réclament des modèles hautement valorisés, rien de plus normal, sauf quand le processus référentiel consiste à produire le même de l’autre à un degré impossible de mimétisme. Il s’agit d’une démarche qui, à terme, aboutit à l’échec, ce que consacre mentalement ou psychologiquement le trouble des sujets ou des groupes. Cela se traduit dans la pratique par un comportement systématique de hargne retenue et de méfiance dans les rapports sociaux considérés comme des traquenards. À cet égard, les actions ou les abstentions du sujet ne visent pas autre chose que de montrer, consciemment ou inconsciemment, que ses comportements n’ont rien à voir avec des actes de sujétion, de soumission ou de servilité. Et pour être sûr que la preuve est faite, il prend d’emblée la place de son maître fictif ou présumé en exigeant des autres la dépendance et la servilité. La manière de procéder dépend, bien entendu, des idiosyncrasies et peut revêtir toutes les formes possibles. Pourvu, au demeurant, qu’il soit conforté dans l’idée que les autres sont à ses services et qu’il est en situation réelle ou virtuelle de domination…

Ce trouble est déjà paralysant dans la vie sociale; mais, comme c’est souvent le cas, il est associé à la fixation phénotypique. Cela donne des résultats désastreux dépendant de l’acuité de cette fixation. L’observation clinique révèle des cas d’obsession où l’individu, bien que pourvu de bons moyens intellectuels, s’avère dans l’incapacité de mener une vie sociale et familiale normale. Ses affects délétères, à force de coloniser tout son être, rendent problématiques les moindres interactions sociales. Immanquablement, l’interlocuteur est suspect de la volonté de le rabaisser. C’est la raison pour laquelle, à son avis, ce dernier fait appel à ses services, fussent-ils de l’ordre des banalités de la vie quotidienne. En raison de ses complexes et à défaut de pouvoir ressembler à l’être idéalisé, il peut en venir, selon un phénomène d’amour-haine bien connu en psychologie, à le haïr et à nier matériellement et symboliquement son existence, surtout si la dimension phénotypique est concernée. Il va de soi que ce qui vaut pour l’individu vaut, d’une certaine manière, pour le groupe social tout entier.

L’analyse clinique est riche de situations apparemment les plus saugrenues où l’individu est même incapable de dire merci le cas échéant, parce que cela le met dans une situation de dépendance qu’il abomine. Lui révéler le complexe d’infériorité à la base de son comportement le laisserait incrédule, car à force de s’entourer de gens à ses services, il finit par se voir et se savoir supérieur, certitude pour laquelle il n’est pas à court de justifications.

Voilà donc pour les lumières de la colonisation dont les intellectuels du vieux monde se sont faits les hérauts au cours des dernières années. Pourtant, beaucoup de colonisés ( il s’en trouve de raisonnables!) et d’autres souffre-douleur du même acabit à travers le monde échangeraient volontiers un peu de ténèbres contre l’action délétère de leurs lumières.
 
15.07.08
Marc L.Laroche

DISCOURS IDÉOLOGIQUE OU RACISME


 

On sait depuis longtemps que la ligne du progrès de l’humanité n’est pas continue. Mais rares sont les expressions de ce progrès qui font la place nécessaire à cette discontinuité et au tâtonnement de l’histoire. Heureusement qu’existe la ‘‘ petite histoire’’ qui est souvent aussi enrichissante, sinon plus, que l’histoire officielle. C’est souvent de ses replis qu’apparaissent les tentatives de sape et les coups fourrés qui jalonnent le cours des idées et la voie vers la connaissance. Au risque de ternir parfois le vernis de l’histoire officielle…

Cette réflexion s’inspire de deux ouvrages parus au début de ce siècle. Il s’agit, d’une part, de Aristote au Mont Saint-Michel,  les racines grecques de l’Europe chrétienne Seuil, 2008 de Sylvain Gouguenheim et, d’autre part, de Afrocentrismes , l’histoire des Africains entre Egypte et Amérique, Karthala, 2000. de François-Xavier Fauvelle-Aymar et consorts. Deux brûlots dans l’histoire récente des idées. Dans un cas comme dans l’autre, le propos semble consister à miner les relations existant entre certains phénomènes au soubassement des cultures européennes et à enlever leur crédit aux peuples allogènes qui en sont concernés et dont les cultures sont jugées répulsives ou inférieures.

Dans le premier cas, l’objectif vise à montrer que la culture arabe ou musulmane n’a eu aucune influence sur l’édification de la pensée occidentale. S’il n’est pas question ici de faire une analyse de l’ouvrage; on peut déjà remarquer que bien loin de reconnaître comme beaucoup d’exégètes ou d’historiens l’apport des arabes dans la transmission de la culture grecque à l’occident chrétien, l’auteur s’inscrit en faux contre la réalité de cette transmission. Et il le fait par des arguments souvent fallacieux dont le but implicite, voire parfois explicitement, est la démolition de la culture musulmane. Selon lui, jamais les érudits arabes n’ont servi de courroie de transmission au rationalisme grec. Ce travail est dû plutôt aux savants chrétiens qui ont répandu l’esprit de la modernité au long de la Renaissance. Ce en quoi, d’ailleurs, il est en porte-à-faux par rapport à la thèse de l’égyptologue Christiane Desroches Noblecourt qui défend plutôt l’hypothèse d’une origine égypto-chrétienne de la civilisation occidentale.

Dans l’autre cas, il s’agit de discréditer le courant idéologique promouvant l’influence de la culture africaine sur l’Égypte pharaonique. Comprenez que cette prétention concerne, en définitive, l’Europe elle-même à travers sa longue macération historique.

De fait, jusqu’au milieu du 20ème siècle, l’Égypte des pharaons était pour les Européens, non seulement objet de connaissance, mais également source d’alluvions culturels. Mme Desroches Noblecourt, entre autres, a montré comment tous les aspects de la vie européenne y compris l’organisation sociale, étaient inspirés de la vie de l’Égypte ancienne. C’est donc sous ce double mouvement parfois inconscient que l’égyptologie a pris son essor, devenant par le fait même, une discipline et une chasse gardée européennes.

Comment s’étonner, dès lors, qu’une pierre africaine lancée dans les plates-bandes de l’égyptologie fasse scandale? Ce fut le cas, en effet, avec la parution en 1954 de Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop. En révélant les rapports des peuples africains avec l’Égypte ancienne au cours des millénaires-- pas exclusivement au seul créneau de la traite négrière comme certains l’auraient voulu-- mais surtout à d’autres dimensions de la société, civile et politique, les sociétés d’égyptologie européenne ont accusé le coup comme une transgression, un crime de lèse-majesté. C’était la première charge contre la forteresse. En réponse, ce fut le signal de mobilisation générale contre les tenants de l’interpénétration africaine. De contester l’hégémonie européenne sur l’Égypte ancienne et de postuler en même temps la perméabilité des aires culturelles limitrophes telle que le pays des pharaons en aurait été affecté, dans sa culture et ses institutions—une hypothèse d’ethnographie culturelle, somme toute, logique et conservatrice –a mis le feu aux poudres. Du jour au lendemain, l’auteur devenait un pestiféré qu’il ne fallait pas fréquenter. Et aujourd’hui encore, tous ceux qui passent dans son sillage autrement que pour le discréditer ou le pourfendre doivent faire face aux bâillons académiques ou médiatiques. Il a fallu attendre le colloque international de l’UNESCO en 1974, sur le peuplement de l’Égypte ancienne, entre autres, pour que la chape de plomb qui pèse sur le sujet soit soulevée. Et encore avec beaucoup de suspicion européenne sur tous les points de vue qui s’éloignent de la doxa classique en matière d’égyptologie.

Sans vouloir analyser ici les thèses de Diop et de ses disciples, il n’est pas malaisé de reconnaître, en contrepartie, que ces derniers, en plus de paraître avoir l’épiderme sensible à l’occasion, se sont trouvés parfois, dans leur argumentation, à forcer un peu la note malgré la solidité du terrain. Comme s’il fallait crier fort pour se faire entendre dans le vacarme ambiant. C’était inévitable en raison des conditions des échanges ou de ce qui en tenait lieu. D’ailleurs, quel scientifique ou chercheur n’a pas, un jour, succombé à la dérive théorique ou à des biais méthodologiques? On n’en fait pas toujours un galeux pour autant. Dans le cas de Diop et de ses disciples, les traits ont été grossis et le rejet sans appel, déterminant par le fait même, la nature (idéologique) et le lieu (extra-muros ) du combat intellectuel auquel ils sont contraints. D’ailleurs, la décision à l’origine du projet Afrocentrismes est très éclairante à cet égard. La charge devait être univoque et unanime :aucun des 19 collaborateurs de cet ouvrage n’était d’origine africaine. Quoi de surprenant alors que les Européens soient accusés d’Eurocentrisme et de  confisquer la civilisation égyptienne au profit de la race blanche ?

S’il en était besoin, ces deux exemples témoigneraient de la difficulté d’en arriver à une épuration du discours dans les sciences humaines. Trop d’intérêts font écran à une appréhension objective de la réalité. Dans le cas qui nous occupe, il y a lieu de se demander si les motivations à l’origine des positions, des tendances ou des orientations sont simplement idéologiques ou davantage racistes. On ne peut en effet sous-estimer l’humiliation des Européens de voir que des peuples qui ne se recommandent pas, à leur avis, par leur supériorité culturelle ou même qui ont longtemps été appréhendés comme inférieurs se voient convoquer quand vient le moment de battre le rappel des constituants fondamentaux de leur culture.
5 Septembre 2008
Marc .L.Laroche

vendredi 12 décembre 2008

RÉFLEXION AUTOUR DES ÉLECTIONS ÉTASUNIENNES





Depuis l’élection d’Obama à la présidence des Etats-Unis, la radio et la TV ne manquent pas de faire état d’opinions et de commentaires venant d’horizons différents à travers le monde. Il en est de même des journaux et des magazines. L’analyse un peu expéditive du contenu médiatique invite à être optimiste sur le genre humain. En effet, toutes les opinions émises, faisaient l’unanimité sur un point : L’élévation du discours d’Obama. Comme quoi, toutes les appréciations témoignaient d’une sensibilité à ce qui est transcendant dans ses propos.

Cette unanimité pose une question sur laquelle il convient de s’interroger. Faut-il penser que tous les commentateurs étaient tous porteurs de hautes valeurs morales et que la présence de cet attribut chez eux les rendait plus aptes à les discerner chez d’autres? En corollaire, faut-il croire que tous ceux que le discours d’Obama n’a pas atteint, se sont abstenus de manifester leur opinion?

Quelque crédit que pourraient avoir ces hypothèses, il semble plus logique de chercher la vérité ailleurs. Aucune situation, même la plus vile, n’échappe à la condition humaine. Si les hommes sont capables de grandeur, ils sont également capables de bassesse. Il est donc possible que même dans les pires conditions de dégradation morale, l’homme soit capable de discerner et d’apprécier le noble et le sublime. 

Pour en rester aux Etats-Unis, les requins de la finance, à l’origine de la crise économique dans ce pays et qui se sont enrichis souvent au détriment des pauvres sont capables de comprendre les bases morales d’une alternative au fonctionnement du marché financier, même s’ils n’y adhèrent pas. Il en est de même de ceux que le caractère inéquitable du système de santé favorise lors même que ce système condamne une grande partie de la population aux affres de la maladie et de l’indigence. La cupidité et l’égoïsme ont beau les pervertir, cela ne les empêche pas, parfois, de reconnaître la transcendance d’un principe ou d’une position, malgré la menace à leurs intérêts.
C’est donc la part noble de la duplicité humaine qui est reconnue dans les opinions et commentaires susmentionnés. Pascal, ne l’avait-il pas déjà identifiée? "Cette duplicité de l’homme, dit-il, est si visible, qu’il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes". 

12 nov 2008

                                       Marc L.Laroche

HAÏTI, LE BROUILLARD DANS LE DISCOURS




 

Après avoir lu, dans un état d’inconfort intellectuel, le texte de Gérard Barthélémy Haïti, l’ordre sous le chaos apparent paru dans Le Monde le 03.09.05, je me préparais à y réagir quand le texte a disparu de mon bureau. Il m’a fallu attendre près de trois mois pour le trouver. Voilà pour mes impressions tardives.

Déplorons, pour commencer, l’approche unidimensionnelle de la situation haïtienne évoquée dans cet article. En effet, faute d’une perception équilibrée de la problématique haïtienne qui tiendrait compte autant des facteurs endogènes qu’exogènes, la saisie de cette question s’avère essentiellement intéroceptive. Comme si une grande partie des mésaventures et des tribulations d’Haïti depuis deux siècles n’étaient pas générées par le rejet dont ce pays a fait l’objet depuis la proclamation de son indépendance!

Mais, dans son argumentation, l’auteur n’en a cure…Qu’à cela ne tienne! Suivons-le dans son élaboration…Presque dès l’incipit, il annonce que la singularité d’Haïti est explicative de trois phénomènes--trois thèses à notre point de vue--qu’il assimile à des mythes fondateurs. Il s’agit dunon-aboutissement de la nation , du refus d’Etat et d’une répulsion instinctive vis-à-vis du développement. Par cette grille, on a l’impression que la "singularité d’Haïti" vient de trouver, tout à coup, un analyste singulier. Devant les contours du problème évoqué, on est, en effet, perplexe devant les référents subjectivistes, voire teintés de psychologisme de son analyse.

Quoi de surprenant alors que le présent commentaire se borne ici à la première de ses thèses, soit celle relative au non-aboutissement de la nation; quant au deux autres, le moins qu’on puisse en dire c’est que leur consistance empirique n’est pas une évidence. Si elles correspondent à quelque réalité, elles ressortissent, probablement, à l’ordre des effets plutôt qu’à celui des causes et apparaissent, par conséquent, comme des outils ébréchés, donc inadéquats pour travailler sur la complexité d’une formation sociale.

Quoi qu’il en soit, à croire l’auteur, la "nation haïtienne" n’est pas aboutie à cause de la scission entre les deux ensembles qui la fondent—les natifs de la colonie et les natifs de l’Afrique ou, pour schématiser, les créoles et les bossales. Ce dualisme est interpellé chez lui dans la dichotomie ville-campagne, comme on le fait depuis 1804, sans autre considération sur les phénomènes de migration interne. Or, il importe de noter que le processus de bidonvilisation en cours, depuis plus d’un demi-siècle dans les principales agglomérations, à partir de ponctions accélérées des couches rurales, fait que cette dichotomie s’avère de moins en moins pertinente pour représenter de manière exhaustive la dispersion de ces deux ensembles dans l’espace national. Autrement dit,  "le pays en dehors" est aussi  "en dedans" et, paradoxalement, c’est en ce lieu qu’il est le plus critique, parce que plus volatil, au point de vue social, économique et politique.

D’un autre côté, dans l’hypothèse de la scission des deux groupes sociologiques à l’origine de la nation haïtienne, comment comprendre que les historiens n’aient pas débusqué dans le creuset de la colonie des signaux si manifestes? Bien sûr, ils ont, ça et là, fait état des grincements à la surface de la nouvelle société née de la colonie. Malgré des différences notoires entre ces deux ensembles à la veille de l’Indépendance, la cause de l’émancipation et la souveraineté était à ce point transcendante qu’elle permettait de surmonter tous les obstacles en vue de la fusion des volontés. La preuve en est que les chefs de guerre se recrutaient des deux côtés pendant toute la guerre de l’Indépendance. Une fois l’Indépendance effective, la société n’allait pas tarder, à être structurée en classes sociales autour, principalement de la propriété et la tenure de la terre. Ce phénomène, qui est loin d’être unique, a prévalu dans les deux hémisphères Quelle que soit l’importance de ces écueils dans la consolidation des bases de la société, les historiens n’y ont jamais vu de problèmes rédhibitoires à l’instauration et à l’intégrité de la nouvelle république.

Barthélémy voit dans la négation de cette dualité par l’" élite créole occidentalisée " la cause des blocages institutionnels d’Haïti. C’est pour cela, qu’il s’écarte de l’idée reçue voulant que les problèmes d’Haïti soient d’abord économiques. " La vraie dimension de la crise haïtienne, dit-il, n’est pas économique, mais idéologique. "Rien d’étonnant alors qu’il dénonce l’aide économique des "pays amis" :  "Jusqu’à présent, l’aide programmée à la hâte n’a pas empêché de monter d’un échelon dans l’échelle Richter de la catastrophe. Peut-être serait-il temps d’arrêter cette progression autrement qu’en envisageant une mise sous tutelle pour dix ans par les Nations unies." Et voilà le lecteur en pleine confusion. Car, malgré une telle déclaration, l’auteur ne paraît pas convaincu de la capacité du pays, s’enfonçant dans la négation du clivage national, de sortir de sa "stérilité" ou de son "blocage" par lui-même. Au contraire, il semble croire, paradoxalement, que la situation légitime l’intervention d’une volonté extérieure:
  "En confiant, dit-il, aujourd’hui à cet État l’essentiel de la responsabilité de sa régénérescence, on rend inévitablement tout dialogue entre lui et la population encore plus impossible. Ce n’est pas un Etat sans pouvoir ni structures qui va se réorganiser lui-même. Il a déjà échoué deux fois, en 1986 après Jean-Claude Duvalier, et en 1994, au retour du président exilé Aristide". 

Par la manière d’esquisser les éléments de la conjoncture, on croirait l’auteur sur le point de proposer le divan du psychanalyste comme solution au dualisme national. De là à penser que le nouveau chef de l’État devrait être, dans l’idéal, un émule de Freud, il n’y a qu’un pas qu’il n’a pas franchi mais que d’autres le font pour lui avec un sourire. Et qui est, nécessairement, une manière cynique de penser comme illusoire tout changement en ce pays…

On quitte ce texte sans avoir une idée claire de la pensée de l’auteur. Tantôt, on croit avoir saisi chez l’élite créole occidentalisée, par sa négation de la majorité afro-paysanne, la cause des blocages institutionnels qui affligent le pays. Tantôt, c’est chez cette majorité elle-même que résideraient ces blocages, en tant que matrice d’une structure derrière le désordre apparent des institutions. Cette structure est, en effet, interpellée comme "…une tentative pour exprimer l’atypisme en s’attaquant à l’ordre comme expression symbolique du pouvoir. " La thèse du  "refus d’Etat" , si elle veut dire quelque chose, est sans doute liée à ce comportement développé dans la marginalité paysanne.

Par ailleurs, s’il y a refus d’État dans la paysannerie, il n’y a pas refus d’ordre; car on apprend du même souffle que : "…les deux tiers de la population, le monde rural, malgré la quasi-absence de police dans les campagnes ces dix dernières années, ont réussi, vaille que vaille, à endiguer la violence multiforme qui s’étendait dans les villes." 

Si la voie que doit prendre ce pays n’est pas claire, il n’est pas clair non plus de savoir laquelle des instances sociales concentre éventuellement, l’essentiel des causes de blocage. L’auteur dit que : "… depuis deux siècles, une partie du pays, son élite créole occidentalisée, n’a cessé de manipuler les faux-semblants d’une démocratie de façade pour mieux asseoir son propre pouvoir sur la grande masse afro-paysanne des campagnes. " On peut bien se demander qui manipule qui puisque cette masse, selon l’auteur, n’a pas cessé de mettre des bâtons dans les roues de cette élite au pouvoir en développant ce qu’il appelle ‘’une répulsion instinctive’’ face au ‘’développement’’.

Marc L.Laroche
Sociologue
12/01/06